par le père Arnaud Brelot
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, partant de Génésareth, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon. Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, disait en criant : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. » Mais il ne lui répondit pas un mot. Les disciples s’approchèrent pour lui demander : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! » Jésus répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Mais elle vint se prosterner devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! » Il répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Elle reprit : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Jésus répondit : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie
Les hommes que nous sommes aiment bien classer les personnes selon des critères plus ou moins élaborés et diviser le monde en deux : ceux qui sont élus contre ceux qui ne le sont pas, les pécheurs contre les saints, les juifs contre les gentils, ceux qui sont à gauche contre ceux qui sont à droite, les capitalistes contre les communistes, ceux qui sont sauvés contre ceux qui ne le sont pas. C’est tellement plus rassurant de savoir dans quel camp on se trouve, surtout de savoir qu’on se trouve bien dans le bon camp : celui du bien, celui des vainqueurs, celui des élus, celui des sauvés. Et l’on oublie même d’avoir pitié pour les autres qu’on regarde avec le sourire en coin et presque un haut le cœur : vous ne pouvez rien faire pour lui! : c’est un crétin, il est indécrottables c’est un progressiste, il est perdu, c’est un chrétien, un musulman, etc….
Ainsi en est-il de cette pauvre Cananéenne, que tous regardent avec dédain jusqu’à supplier Jésus en le priant de la « renvoyer, car elle nous poursuit de ses cris ! ». Non pas « prends du temps avec elle, écoute la ou exauces-la », non ! Seulement renvoie-la. Allez Seigneur un peu de courage dit lui ses quatre vérités, dit lui qu’elle n’est pas dans le bon camp, qu’elle ne fait pas partie des sauvés puis Raus !
Et on à l’impression que Jésus s’exécute tant ses paroles sont rudes à l’encontre de cette femme. Il va établir une séparation entre son peuple et le sien, entre ceux qui sont à la table de Dieu et ceux qui n’y sont pas, entre les enfants qui sont à table et les petits chiens qui sont dessous !… Cette façon de faire ne ressemble pas à Jésus pourtant!
Et si c’était une tactique de Jésus pour briser nos frontières et notre propension à enfermer les gens dans des idées ou des points de vue ?
En effet, Jésus ne renvoie pas cette Cananéenne, mais ouvre le dialogue avec elle comme s’il voulait, par elle, ouvrir le salut à tous les hommes. Il lui rappelle bien que le Salut a une origine, qu’il vient de Peuple Juif auquel tous les autres peuples sont redevables. Il propose donc à cette femme de reconnaître cette évidence, de poser un acte de foi !
Et la gloire de cette femme Cananéenne est de se battre comme une lionne (on pourrait dire aussi comme une chienne) pour son chiot de petite fille, pour le fruit de ses entrailles. Elle accepte la séparation établie par Jésus et reconnait sa gloire et son rang. Elle sait qui est Jésus puisqu’elle l’interpelle en disant, « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! » Elle sait que le salut vient des Juifs puisqu’elle le supplie en disant « Seigneur, viens à mon secours ! »
Jésus, grâce à l’acte de foi de cette femme ouvre une brèche dans les frontières sociales et spirituelles de l’époque. Le salut, jailli du peuple Juif, peut être donné à chacun, quelque soit son pays. A celui qui reconnait Jésus comme Fils de Dieu est donné le salut.
Et la mission de l’Eglise au cours des siècles fut toujours de faire parvenir cette Bonne Nouvelle à tous les hommes de tous les temps et de toutes les nations. Tous sont appelés à reconnaître Jésus comme leur Sauveur et à voir dans l’Eglise une « Maison de prière pour tous les peuples. » et elle l’est !
En effet, l’Eglise, au cours des siècles de son histoire, s’est agrégés des peuples nombreux venant des 5 continents. Et cette communion dans le salut ne s’est pas faite sans heurt ni difficulté. Ainsi dès l’origine les Juifs devenus chrétiens ne voulaient pas que des païens le devinssent également ; et Paul, qui se dit lui-même dans la lettre au Romain « apôtre des nations » fera tout pour unir les chrétiens en un seul peuple, quelque soit leur origine. Toujours l’Eglise a du aussi affirmer l’unité du genre humain et la dignité de tous les hommes, par exemple quand les visées mercantiles voulaient en réduire la plupart en esclavage ou au XIX° siècle, quand Saint Léon XIII dans l’encyclique « Rerum Novarum » réaffirma la dignité de tout homme qui ne pouvait pas être soumis à des conditions de travail inhumaines.
Et frères et sœurs le combat se poursuit encore aujourd’hui et la mission de l’Eglise demeure toujours. Comme saint Pierre devant le conseil suprême des juifs, il faut affirmer qu’en « nul autre que Jésus, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. » Et en même temps nous devons garder ouvertes les portes du dialogue avec toute l’humanité et œuvrer avec tous les hommes pour la dignité de tout homme.
Mener le monde au Salut par le Christ exige d’être nous-mêmes des témoins fidèles de la miséricorde et de l’amour de Dieu pour tous. Alors comprenez-bien que cette œuvre immense commence déjà en nous et autour de nous, dans nos communautés où si facilement on catégorise, on divise, on critique, on complote et on excommunie ceux qui ne sont pas comme nous !
La rentrée arrive frères et sœurs, qu’elle soit pour nous, l’occasion d’ouvrir le dialogue avec ceux qui sont loin, dans la foi qui nous est commune comme avec ceux qui sont d’une autre confession ou athées. Tous ont droit au salut, leur permettrez-vous, par vos paroles et vos actes d’y accéder ? Amen