Homélie du dimanche 13 septembre

Par le Père Arnaud Brelot

Évangile de J-C selon saint Matthieu

En ce temps-là, Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ?  Jusqu’à sept fois ? » Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 fois sept fois. Ainsi, le royaume des Cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent). Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette. Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : ‘Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.’ Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette.

Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : ‘Rembourse ta dette !’ Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : ‘Prends patience envers moi, et je te rembourserai.’ Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait. Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : ‘Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?’ Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.

C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. 

Homélie :

Je voudrais avec vous partir de la question du maître à son serviteur insolvable : « Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?’ » « Avoir pitié »  voilà une expression que l’on a du mal à bien comprendre et à bien utiliser sans avoir l’air condescendant. C’est qu’il faut revenir à la racine grecque du verbe qui est « eleos » qui signifie : éprouver de la miséricorde jusqu’à aider une personne affligée en cherchant de l’aide ou en portant soi-même secours.

« Avoir pitié » voilà selon l’évangile une attitude commune à Dieu et aux hommes. Ce que Dieu fait envers nous nous rend capable de le faire envers les autres et l’évangile de ce jour est une parfaite illustration de cette demande divine. En conséquence, je vous propose trois parties dans ma méditation aujourd’hui :

1/Dieu a pitié de nous.

Dans l’évangile que je viens de proclamer, la dette de dix milles talents du serviteur exprime, comme vous le savez, son incapacité à rembourser sa dette au roi. Il n’y a que deux issues proposées, toutes deux entre les mains du roi : vendre le serviteur, sa famille et tous ses biens en remboursement de sa dette ou annuler tout simplement cette dette colossale. Ainsi pour s’en sortir ce serviteur n’a qu’une solution, obtenir la remise de toute sa dette. Pour y parvenir il va faire appel à la pitié du roi : « Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout. » En implorant du Roi, l’exercice de sa patience en vue d’un remboursement total, le serviteur joue sur la fidélité du roi envers ses sujets : Celui-ci doit garder confiance envers son serviteur qui s’engage à tout rembourser. Or ce Roi vous savez comme moi que c’est Dieu. Le désir de l’homme à assumer sa dette jusqu’au bout touche les entrailles de Dieu et stimule en lui son attachement viscérale à l’homme qu’Il aime comme un Père. Le résultat est au-delà de toute attente, Dieu fait plus que patienter, il renonce au remboursement : « Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette. »

On pourrait dire les choses ainsi : l’amour de Dieu, sa fidélité à l’humanité l’emporte sur sa justice. Cependant la suite de l’évangile nous alerte sur la nécessité pour l’homme d’agir envers ses semblables comme Dieu le fit envers lui. En effet, sans écho concret dans la vie des hommes de l’amour reçu de Dieu, c’est la justice au final qui prévaut et elle s’exerce jusqu’au remboursement total de la dette.

Alors demandons-nous d’abord si nous nous sentons redevable devant Dieu ? N’avons-nous pas trop tendance à considérer comme acquis le pardon de Dieu, savons-nous encore implorer la miséricorde de Dieu conscients que nous sommes d’avoir blessé son cœur de Père et Créateur ?

2/ Ayons pitié de nos frères.

Dieu veut que l’homme reconnaisse sa dette, c’est-à-dire ses péchés, envers Lui et qu’il mesure la grandeur du don qui lui est fait, c’est-à-dire la rémission de tous ses péchés, l’effacement de la dette par le feu de sa miséricorde. Mais ce que Dieu veut aussi afin d’établir son royaume c’est que les hommes vivent entre eux ce que Dieu vit avec eux. Comme la miséricorde de Dieu le lie filialement à nous car elle est la vibration de ses entrailles de Père, elle doit aussi s’exercer entre nous. La miséricorde nous lie fraternellement les uns aux autres car elle est la vibration de nos entrailles de frères.

Et le serviteur de l’évangile a oublié cela, se jetant sur son compagnon pour l’étrangler en exigeant le remboursement de sa dette envers lui. Il n’a pas vu dans cet homme un semblable qu’une humanité pécheresse et faible, unie fraternellement.

Peut-être que notre regard sur les autres est parfois comme celui du serviteur mauvais. Nous savons trop souvent faire la liste des méfaits, des travers, des blessures infligées, demandant sans cesse réparation et refusant soi-même de réparer le mal que l’on a fait, se trouvant bien souvent des excuses pour ne rien faire. Faisons nôtres les paroles de Sagesse de Ben Sira : Pense à ton sort final et renonce à toute haine, pense à ton déclin et à ta mort, et demeure fidèle aux commandements. Pense aux commandements et ne garde pas de rancune envers le prochain, pense à l’Alliance du Très-Haut et sois indulgent pour qui ne sait pas.

3/ La pitié exige l’action concrète

Oui Jésus dans l’évangile ce matin nous enseigne que la pitié doit être un acte concret. Exercée par Dieu envers nous jusqu’à l’effacement de tous nos péchés qui s’opère par le don de la vie du Christ sur la croix, elle doit aussi jaillir de notre cœur en acte concret de pardon envers celui qui nous a blessé et de compassion envers celui qui souffre. Jésus nous révèle que nous sommes capables du même amour miséricordieux entre nous que celui qu’Il a envers chacun de nous. Mais pour déployer de plus en plus le pardon des autres il faut d’abord gouter soi-même régulièrement au pardon de Dieu. Ainsi plus on reçoit la miséricorde de Dieu concrètement dans la célébration du sacrement de la réconciliation plus on a de chance de faire miséricorde à notre tour. Et si cette année on redécouvrait ce beau sacrement pour nous et pour y puiser la force et le courage de pardonner à ceux qui nous ont blessé ? Confions-les déjà au Seigneur en les déposant dans la patène. Amen