homélie de la confirmation de Monseigneur Garin

Chers confirmands,

C’est une grâce de célébrer le sacrement de confirmation à votre âge, d’accueillir le don de Dieu, la personne de l’Esprit Saint à ce moment de votre vie, car vous êtes à l’époque où vous commencez à mûrir les grands choix de votre vie… Dans l’évangile, pour Jacques et Jean, c’était aussi l’heure des grands choix : que voulaient-ils faire de leur vie ? Comment voulaient-ils la réussir ?

La gloire ou la croix ?

Les deux disciples s’adressent alors à Jésus.

 « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. » La réponse de Jésus aussi est une question « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » 

Chaque fois que Jésus annonce sa passion, dans l’évangile de Marc, la réaction des disciples nous laisse stupéfaits. La première fois que Jésus parle de la passion, Pierre rabroue vivement Jésus (Mc 8,32-33). La seconde fois, les disciples se disputent pour savoir qui est le plus grand, qui a la préséance (Mc 9,33-37). La troisième fois, nous venons de l’entendre, Jacques et Jean, les deux frères, réclament les bonnes places dans la gloire : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire » (Mc 10,37).

C’est incroyable ! Jésus vient à peine d’annoncer les humiliations et les violences qu’il va subir que les deux apôtres lui demandent les places d’honneur. Aveuglés par l’orgueil, ils ne voient pas le contraste criant entre leur ambition et l’humiliation de Jésus. Ironie de l’histoire : le seul moment dans l’évangile de Marc où deux personnes sont effectivement installées à la droite et à la gauche de Jésus, c’est quand il agonisera sur la croix et que deux brigands partageront son supplice (Mc 15,27) ! Frères et sœurs, il y a tout de même quelque chose de consolant : les disciples que Jésus a choisis ne sont pas parfaits, ils ont besoin de grandir, pas à pas, dans la sainteté, dans le don désintéressé d’eux-mêmes, comme chacun d’entre nous !

Les deux places que Jacques et Jean réclament n’ont pourtant rien d’enviable. Jésus le leur fait remarquer : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ! » et d’ajouter : « Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? »

Relevons les deux expressions : « boire à la coupe » « être baptisé ». Dans l’Ancien Testament, la coupe est souvent synonyme d’épreuves et de souffrance. On s’en souvient quand Jésus dit « Père, éloigne de moi cette coupe ». Et pour comprendre le baptême ici, il faut se souvenir que c’était tout le corps qui était immergé sous l’eau. Le baptême de Jésus est donc une plongée dans la mort.

Servir et donner sa vie

En entendant Jacques et Jean, les dix autres disciples sont indignés. Est-ce parce qu’ils sont jaloux, qu’ils convoitent aux aussi les premières places, qu’ils ont les mêmes prétentions que les deux premiers ? Jésus en profite pour leur faire un enseignement magistral, décisif, et incisif… sur les relations d’autorité à vivre entre disciples… et dans l’Église.

Bien sûr, comme tous aujourd’hui, les disciples sont marqués, j’allais dire, formatés, par la manière dont se vit le pouvoir dans l’empire romain, et le système hiérarchique qui régit la société de l’époque : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. »

Mais Jésus inverse alors la perspective : « Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

A l’époque, les esclaves étaient mis au dernier rang de la société. La parole de Jésus est d’autant plus frappante dans une société où les grandes maisons avaient encore des esclaves à leur service ! Les Douze rêvent de domination, de supériorité. Jésus inverse leur regard en leur demandant d’ambitionner le bas de la pyramide sociale de l’époque. Jésus ne demande rien d’autre à ses disciples que de choisir ce qui était alors considéré comme la dernière place ! Et c’est bien ce que Jésus lui-même fera le soir du Jeudi Saint en quittant son habit de fête, en revêtant le pagne d’un esclave pour laver les pieds de ses disciples. C’est bien ce qu’il fera en se laissant crucifier sur la croix comme les esclaves déserteurs de l’époque.

« Avec ces paroles, » – dit le pape François – « Jésus indique le service comme style de l’autorité dans la communauté chrétienne. Celui qui sert les autres et est réellement sans prestige exerce la véritable autorité dans l’Église. Jésus nous invite à changer de mentalité et à passer de la convoitise du pouvoir à la joie de disparaître et de servir ; à extirper l’instinct de domination sur les autres et à exercer la vertu de l’humilité. » (Homélie, 18 octobre 2015)

Le seul pouvoir que nous avons, ce n’est pas celui de prendre, c’est celui de donner, et, bien plus, de se donner. L’autorité religieuse n’est qu’une autorité de service. Dans mon bureau est encadrée la bulle papale par laquelle le pape François m’a nommé évêque de Saint-Claude. En en-tête de cette bulle, il est écrit en latin : François, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu. Chacun de nous, nous sommes appelés à être serviteur, et si nous exerçons des responsabilités, dans la société, dans des associations, ou dans l’Église, nous sommes, nous aussi, serviteurs des serviteurs.

Il y a sans doute au milieu de vous des scouts ou des anciens scouts qui se souviennent de leur promesse : « Sur mon honneur, avec la grâce de Dieu, je m’engage à servir de mon mieux Dieu, l’Église, ma patrie (et l’Europe), à aider mon prochain en toutes circonstances ». C’est un magnifique résumé de l’évangile de ce jour ! 

Un sacerdoce de compassion

La façon dont l’Épître aux Hébreux parle du sacerdoce de Jésus est une leçon de vie pour nous prêtres et évêque, mais aussi pour tous les baptisés. L’auteur de l’épître aux Hébreux ne parle pas du sacerdoce de Jésus comme d’un pouvoir ou d’une domination. Il parle d’un sacerdoce de compassion : « Nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses. »

« Jésus a fait l’expérience directe de nos difficultés, il connaît de l’intérieur notre condition humaine ; ne pas avoir fait l’expérience du péché ne l’empêche pas de comprendre les pécheurs. Sa gloire n’est pas celle de l’ambition ou de la soif du pouvoir, mais c’est la gloire d’aimer les hommes, d’assumer et de partager leur faiblesse et de leur offrir la grâce qui guérit, de les accompagner avec une infinie tendresse, de les accompagner sur leur chemin de souffrance. » (François, Homélie du 18 octobre 2015). Ce sacerdoce, c’est celui des prêtres, dans le sacerdoce ministériel. C’est aussi celui de tous les baptisés dans leur sacerdoce baptismal.

Alors que le Saint-Père invite les diocèses du monde à entrer dans une démarche synodale – nous en reparlerons prochainement –, la Parole de Dieu nous indique la vocation de l’Église dans le monde, la vocation de chaque baptisé dans la société et dans l’Église : servir, servir de manière gratuite, de manière désintéressée, et exercer un sacerdoce de compassion auprès de tous ceux qui souffrent, d’une manière ou d’une autre.

C’est à cela aussi que je vous appelle, chers amis, qui allez être confirmés dans quelques instants.

Que l’Esprit-Saint vous remplisse de force pour fortifier votre foi ;

Qu’il vous remplisse de sa lumière pour vous montrer comment vous pouvez vous mettre au service de la société et de l’Église.

Qu’il vous remplisse de sa charité pour vous aider à exercer votre sacerdoce de compassion en vous mettant au service des personnes les plus fragiles et les plus faibles.

Amen.

+ Jean-Luc Garin

Evêque de Saint-Claude